Saïko Niida : » Quand je pratique, je ne pense pas à mon fauteuil … je suis avant tout une karatéka »
Handicap. « Je suis née au Japon, avec un handicap physique : une malformation congénitale suite à des soucis dans le ventre de ma mère et à une erreur médicale … ce n’était pas très bien parti (rires). Avec mes parents nous venions depuis plusieurs étés en Bretagne au Centre de rééducation de Kerpape à Ploemeur pour mes soins. Un centre très réputé. Puis à l’âge de 11 ans et demi nous nous sommes installés définitivement en Bretagne. Je devais en effet me faire opérer des genoux et la prise en charge au Japon ne suffisait pas pour avoir un suivi post-opératoire correct. Nous avons donc pris cette décision avec mes parents. C’était un sacré changement mais nous connaissions bien la région. «
Karaté. « J’ai passé de bonnes années à Kerpape et un beau jour, un copain que je connaissais depuis longtemps et qui avait un oncle professeur de karaté m’a dit : « est-ce que tu est cap de faire du karaté ? » … comme on peut se dire entre adolescents. Tu tac au tac je lui ai répondu : « Bien entendu que j’suis cap ! ». Après de longues négociations avec mes parents, ils m’ont autorisé à me lancer. En 1998, j’ai obtenu la ceinture jaune et c’est comme cela que l’aventure a vraiment commencé. J’ai rapidement accroché avec cette discipline car je pouvais bouger, m’exprimer … pendant que j’étais aux entrainements, je ne pensais plus au fauteuil. Le karaté était aussi un lien important avec la culture japonaise. Je me suis dit que peut-être un jour je retournerai au Japon grâce au karaté … »
Tokyo, 2008. « Je me suis entrainée jusqu’à passer ma ceinture noire … et un beau jour, mon professeur arrive chez mes parents et me dit : « Tu serais partante pour accompagner l’équipe de France au Japon pour les championnats du Monde ? » Au début, bien entendu je n’y croyais pas, je pensais à une blague. Et non, ce n’était pas une blague. En 2008, je suis partie avec Michel Kervadec aux championnats du Monde à Tokyo, en tant qu’interprète, avec les athlètes français. Je garde un super souvenir de cette expérience. Une anecdote qui m’a frappé et dont je me souviens bien c’est que les Japonais avaient prévus les dortoirs mais c’était à nous de faire les lits (rires). On a passé quinze jours sur place entre la compétition et les visites. Mon père avait prévenu une partie de ma famille pour qu’ils viennent me voir à Tokyo et ils sont tous venus avec des cadeaux à ramener en France … j’étais assez chargée dans l’avion du retour (rires). »
Rechute. « J’ai ensuite passé mon deuxième Dan et le DIF. J’ai continué mon parcours de karatéka à Kervignac jusqu’à ce que l’on me dise un beau jour de 2018 : il va falloir vous opérer à nouveau. Hein ? Quoi ? « Vous avez un trou dans la tête ! » Au lieu d’être opérée rapidement, j’ai eu une méningite, une seconde puis une troisième. Les médecins ne savaient pas comment faire et je ne suis pas passée loin de la catastrophe. Le médecin qui me suivait ne voulait pas que je continue le karaté … mes parents ont dit : « Non, il faut qu’elle continue ! Il y a les kata, c’est sans risque car il n’y a pas de contact possible. » J’ai eu l’autorisation de pratiquer à nouveau mais je devais faire très attention, en permanence. Le karaté fait partie de mon équilibre. Je vis karaté, je pense karaté et je dors karaté. »
Equilibre. « Le karaté m’aide à moins penser à cette maladie, à ce handicap. Quand je pratique, je ne pense pas à mon fauteuil … je suis avant-tout une karatéka. Au bout d’un moment, le fauteuil devient invisible pour moi comme pour mes partenaires du club. Sur le tatami, je donne tout ce que j’ai comme chaque pratiquant. A la fin d’une séance, je suis fière d’aller voir le professeur, de lui dire que j’ai réussi telle ou telle technique, tel ou tel enchainement … c’est super, quoi ! »
Compétition. « J’ai des copains qui font des compétitions de para-karaté. C’est vraiment bien que ces épreuves se développent dans notre discipline. Il y a de la place pour tout le monde ! A chaque fois que l’on se parle ou que l’on se voit, on prend des nouvelles les uns des autres, c’est une petite famille. Je suis en contact avec Charlène qui est en Bretagne, mais aussi Jordan, Fatah et des athlètes étrangers également comme en Belgique. »
Avenir. « Je voudrais passer le troisième Dan. Je suis actuellement à l’arrêt complet suite à une mauvaise manipulation de ma cheville. J’ai une grosse entorse et je dois attendre huit à neuf semaines avant d’avoir l’autorisation du médecin pour reprendre. J’ai le projet de passer le CQP par la VAE, car financièrement et d’un point de vue logistique c’est compliqué d’aller sur Paris. »
Message. « Il faut oser franchir le pas de la porte ! Il faut venir voir, poser des questions et voir ce qu’il est possible en fonction du type de handicap. Après tant que l’on n’aura pas de professeurs formés spécifiquement à la pratique du para-karaté, il sera compliqué de développer cette discipline. Il faudrait peut-être faire comme le judo en se développant sur les différents handicaps et en adaptant les règles et les pratiques … je pense que c’est la bonne voie mais encore une fois il faut que les professeurs connaissent leur sujet car c’est très spécifique. Pour ceux qui sont intéressés d’accueillir des publics avec handicap, il est possible de se renseigner au niveau des comités handisports proches de chez vous car les formations sont vraiment importantes. Dans le Morbihan, on va essayer que ça prenne pour de vrai … la base c’est d’être passionné. »