Para Karaté
Touché comme l’ensemble des activités de la FFKaraté, le para-karaté a pris son mal en patience durant la crise sanitaire. Tout en essayant de planifier la pratique de demain, pour laquelle il souhaite toucher un public de plus en plus large.
Confinement n’a pas rimé avec relâchement dans le monde du para-karaté, suffisamment créatif pour s’adapter à cette situation inédite avec un maximum d’optimisme et de solidarité. Pour Charlène Odin, au pied du podium mondial dans la catégorie handicap mental en 2018 qui devait remettre en jeu son titre européen fin mars à Bakou (Azerbaïdjan), si les rendez-vous médicaux se sont réduits et son travail à l’ESAT de Keraudren mis en suspens, son entraînement quotidien n’a pas cessé en compagnie de sa sœur Céline qui la coache. « Charlène était forcément déçue de ne plus pouvoir aller en compétition, ni même de sortir, mais nous n’avons pris aucun risque pour la protéger. Ce fut au final assez intensif pour elle qui doit être constamment stimulée, avec de la préparation physique et du kata tous les jours, afin qu’elle soit la meilleure possible lorsque tout rentrera dans l’ordre. Beaucoup de personnes qui suivent son parcours sont venues aux nouvelles, preuve que le para-karaté fait son chemin, notamment en Bretagne où la ligue communique beaucoup et organise conjointement les championnats valides et handicapés pour un public plus nombreux qui change la donne pour nous. »
Multiplier les échanges
La mixité, un véritable atout auquel souscrit volontiers Michel Forbeau, responsable du para-karaté dans la ligue Centre Val-de-Loire. « Parmi les initiatives les plus porteuses, les séances de l’école des cadres assurées tout ou en partie par mes élèves handicapés sont celles qui assurent une ouverture d’esprit incroyable. Parfois, des hauts gradés sont même bien incapables de repérer le souci physique avec lequel vit au quotidien celui qui s’exécute devant eux. Et lorsque c’est à leur tour de travailler avec une jambe ou un bras immobilisé, ou lorsqu’ils se font corriger pour un genou mal placé en zenkutsu dachi, car leur professeur d’un jour craint qu’ils se fassent mal, c’est juste merveilleux. Le partage marche également très bien lorsque je convie un pratiquant valide blessé ou en rééducation – et donc temporairement handicapé – à se mêler à mes créneaux de para-karaté. En termes d’humilité et de persévérance, la leçon est totale et côtoyer ces gens à la pêche constante vous remet immédiatement dans l’axe de la progression. »
Former et se déplacer
Des échanges à multiplier auprès de toutes les structures susceptibles de bien accueillir ce type de partenariats, à condition de bien former les encadrants avance pour sa part Jean-Michel Couturier, président et professeur du Saintes Karaté Club (Charente-Maritime) aux côtés du responsable national du para-karaté Alain Georgeon. « Être sensibilisé durant sa formation est vraiment un bon moyen de doter les éducateurs des compétences adéquates pour proposer du para-karaté dans les clubs, précise le cinquième dan shotokan. L’idéal est même de proposer ses services directement dans les centres, qui possèdent bien souvent des équipements sportifs adaptés, afin de pouvoir par exemple toucher un public d’enfants, plus difficile à capter sur des horaires classiques de club. » Pour Cyril Dufaure, référent francilien pour le para-karaté, les stages doivent participer du même élan, dans le but de nouer des liens durables entre les pratiquants identifiés et ceux amenés à le devenir. « Savoir que le club voisin accueille tel type de handicap s’avérerait un bon moyen de créer de l’émulation entre les associations, qui pourraient s’aider pour monter des projets d’envergure, susceptibles d’être soutenus tant l’intégration de tous dans la société constitue une problématique que l’État cherche à promouvoir. »
Continuer le maillage
« Cela se structure doucement, et on aimerait toujours que les choses aillent plus vite, analyse pour sa part Gérôme Gauchard, responsable adjoint de la commission régionale Grand-Est de para-karaté. Le recensement est très difficile, les retours des clubs aux questionnaires que nous avons pu établir sont encore faibles, mais il est indispensable de poursuivre ce travail de fond. Continuer le maillage, travailler pour créer ce tissu, pouvoir échanger les expériences d’un territoire à l’autre… notamment sur l’organisation des compétitions qui peut s’avérer quelque chose de lourd. Quand vous devez accueillir des autistes par exemple, il faut prévoir une salle spécifique au calme, des accès handicapés pour les personnes en fauteuil… Sans oublier une formation sur l’arbitrage. Le karaté a tout pour être moteur et apporter ses valeurs, le faire savoir aussi. D’ailleurs, nous avons prévu un grand Open international avec nos voisins belges, luxembourgeois et allemands en septembre 2021, pour mettre en lumière la pratique handicapée. » Un président de club, par ailleurs enseignant à l’UFR STAPS de Nancy, qui voit, comme Jean-Michel Couturier, un potentiel de développement en dehors des clubs eux-mêmes. « C’est peut-être la prochaine étape : aller voir les structures pour jeunes et adultes handicapés comme Instituts Médicaux Éducatifs (IME), les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT), etc., qui pourraient permettre davantage de sensibilisation vers tous les publics et de détection. »
Des habitudes d’enseignement bouleversées
David Rossi travaille, lui, depuis quinze ans avec Nohan Dudon (ci-dessus), pressenti pour représenter la France aux derniers championnats d’Europe dans la catégorie handicap visuel et qui devra donc encore patienter. Un coup de projecteur pour le duo, mais aussi sur ce petit club de Vins-sur-Caramy et ses cinquante licenciés. « Pour Nohan, il faudra patienter mais, déjà, je ne peux que constater l’accompagnement de Yann Baillon, d’Ahmed Zemouri et d’Ayoub Neghliz dans cette préparation. C’est une belle reconnaissance du travail accompli. J’ai vu ces dernières années combien le collectif porte bien son nom, d’autant que j’ai un lien privilégié avec Jordan Fonteney, dont le professeur, Guy Berger, est aussi le mien. Bien sûr, il reste beaucoup de combats à mener, le chemin est long, mais il y a quinze ans, quand Nohan est arrivé au club avec sa maman en voulant faire des arts martiaux, je n’imaginais pas que nous en serions là un jour. Il a bouleversé mes habitudes d’enseignant. »
Une mission de santé publique
Une rencontre humaine et un jeune qui brille, qui ne saurait faire oublier les autres jeunes du club, presque une dizaine en situation de handicap, pas toujours visibles. « Dans notre petit club de village, nous avons quatre enfants dyspraxiques et autant en obésité, confirme ce professeur d’EPS. Avec le karaté, on résout des problèmes de repères dans l’espace, on se découvre soi-même et on prend confiance… Je vois mon rôle auprès d’eux comme une mission de santé publique, ça me rend fier d’être professeur de karaté car mon sport s’engage. » Et Nohan, qui vient d’obtenir son baccalauréat et rentrera en fac de sport à l’Université Toulon Var dans quelques semaines où il conservera sa spécialité karaté, de conclure : « Le terme de para ou handi-karaté n’existaient même pas quand j’ai commencé. Désormais, il y a un vrai engouement autour du para-karaté et notre discipline peut permettre de changer des vies. Au cours des cinq dernières années, la pratique para a pris beaucoup d’amplitude et c’est tant mieux. Je crois aussi que ce développement doit être bien pensé, accompagné. Entre les championnats de France 2017 et 2018, à Reims, il y a une explosion du nombre de participants (trente dans la Marne, NDLR) qui étaient encore plus nombreux en 2019 à Paris (quarante-deux, NDLR). Finalement, on n’étonne plus personne, nous sommes des karatékas à part entière et c’est ce que nous fait ressentir le milieu. Tout cela est une histoire de travail. » Un socle, sur lequel il faut continuer à construire.
Antoine Frandeboeuf et Olivier Remy / Sen No Sen